Tanah Merah : l'écocide sur fond d'huile de palme

Dans l’imaginaire collectif, la Papouasie est une contrée lointaine où sévissent des tribus cannibales. Dans la réalité, il s’agit d’un pays d’Océanie riche de ressources naturelles dont les habitants dépendent largement. Si les peuples indigènes ont appris depuis longtemps à vivre avec la nature, ils semblent désormais impuissants face aux producteurs d’huile de palme qui voient en la forêt primaire de Papouasie Occidentale une opportunité d’exploiter des dizaines de milliers d’hectares pour répondre à la hausse de la demande en huile de palme.

L’anecdote pour briller aux dîners en ville 

La Papouasie-Nouvelle-Guinée est divisée en deux parties : la partie orientale est indépendante, tandis que la partie occidentale dépend de l’Indonésie. L’Indonésie qui n’est autre que le premier pays producteur d’huile de palme (notamment à Sumatra, souvent mise en avant avec car ses orangs outangs sont menacés par la déforestation).

Tanah Merah : corruption, politique et huile de palme

Essayons de faire court (et simple) : la Papouasie abrite l’une des dernières forêts primaires au monde et, avec elle, des milliers d’espèces végétales et animales. Incluse dans l’écozone australasienne, elle a longtemps été préservée, mais est aujourd’hui en danger. Et l’histoire est digne d’un scénario à tiroirs…

C’est l’histoire d’une déforestation massive…

Une histoire qui remonte à 2007, quand un projet de grande envergure sous le nom de Tanah Mera voit le jour. À l’époque, des permis, dont il apparait qu’ils ont probablement été falsifiés, autorisent l’exploitation de de terrains pour la plantation. Et pas de petits terrains : on parle ici d’un projet de plantation dont la superficie avoisine deux fois la taille de Londres !

En 2020, ce sont pas moins de 170 hectares de forêt qui ont été anéantis par les bulldozers du Digoel Agri Group. Si le chiffre est en lui-même tragique, il ne représente qu’une infime partie des 280 000 hectares du projet. 280 000 hectares où vivent des peuples indigènes et des animaux qui dépendent de la forêt.

Des intérêts politiques et financiers dignes de Dynastie

Alors que différentes ONG se sont penchées sur le sujet, il est ressorti de leurs investigations que les responsables actuels de Digoel Agri Group ne sont autres que les membres d’une famille de Jakarta bénéficiant de solides liens politiques et l’appui d’investisseurs étrangers. De quoi « filer un coup de pouce » quand il s’agit d’obtenir des permis.

Mais si on remonte un peu plus loin dans le temps, ce sont encore d’autres parties prenantes qui ont truqué les cartes. Menara Group et Tadmax, deux sociétés basées aux Émirats Arabes Unis, avaient commencé le projet, à grand renfort de permis falsifiés qui avaient pourtant été dénoncés par des représentants du gouvernement. C’est avec l’aide de Fabianus Senfahagi, pourtant représentant de l’association locale des populations indigènes, que Digoel Agri Group a récupéré ces permis (presque) en toute légalité.

Menara Group et Tadmax : dans l’opacité la plus totale

Les sociétés détentrices des premiers permis sont loin d’être transparentes. La première, Menara Group, est un conglomérat appartenant (soi-disant) à un certain Chairul Anhar, homme d’affaires d’origine indonésienne. En 2009, Anhar rencontre Yusak, le bupati (chef de district – habilité à délivrer les permis) de Papouasie. Il lui explique qu’il a acheté les sept sociétés auxquelles Yusak avait accordé un permis. Les permis étant expirés, il souhaitait les renouveler. Mais l’affaire se corse lorsqu’on sait (grâce à l’enquête conjointe de The Gecko Project, Mongabay, Tempo et Malaysiakini) que lesdites sociétés avaient été enregistrées au nom de personnes qui n’en avaient pas la moindre idées (dont deux femmes de ménage d’une banque). Des sociétés écrans qui ont permis au Menara Group de récupérer les permis convoités.

Mais ce serait dommage de s’arrêter en si bon chemin ! Malgré l’arrestation de Yusak en 2010 pour corruption, ce dernier a continué de signer des permis de sa nouvelle résidence sous les barreaux, permettant au Menara Group de consolider le projet Tanah Merah. Une aubaine pour Chairul Anhar et l’un des actionnaires, Mohamad Hekal, élu au Parlement en 2014.

Et Tadmax, dans tout ça ? Tadmax Resources est le nouveau nom de Wijaya Baru, une société malaysienne engluée dans une affaire de corruption en 2011 (qui se ressemble…). La firme a acheté 90% des parts de deux des sociétés de Menara Group. Le reste est tout aussi opaque, avec des actionnaires qui n’ont jamais reçu d’argent des transactions opérées par Tadmax, des virements opérés vers des sociétés offshore et l’entrée en jeu de membres influents au conseil. Un vrai feuilleton !

Tanah Mera : un désastre écologique en puissance

Si on parle souvent de la déforestation au Brésil, le projet Tanah Mera représente une menace écologique sans équivalent. Les espèces endémiques (qui ne vivent qu’en Papouasie) sont menacées d’extinction et les populations locales vont perdre leurs terres. Alors que des voix s’élèvent, elles ne résonnent pas encore assez pour empêcher ce projet.

Frères des arbres, le documentaire qui appelle à l’aide

En 2019, un documentaire mettant en scène Mundiya Kepanga, chef papou, a remporté le Greenpeace Film Festival. Révélateur de la volonté des tribus papoues de conserver leurs terres et leur mode de vie, c’est aussi un formidable voyage au cœur de la forêt tropicale. Entre découverte de paysages à couper le souffle et témoignages poignants, on découvre l’enfer de la déforestation et les étendues ravagées par les sociétés d’exploitation.

Non sans rappeler le film Avatar, les paroles de Mundiya Kepanga décrivent comment les papous considèrent les arbres comme leur famille, leurs frères. Et on prend soin de sa famille ! Alors le chef papou parcourt le monde pour partager son message et sensibiliser les hommes blancs à sa cause.

Le témoignage d’Olivier Behra, fondateur de Net Positive Impact

Olivier Behra Papouasie

« J’ai eu le privilège d’aller au fin fond de la Papouasie. On a l’impression que ces immenses forêts sont là pour toujours. Les peuples qu’elle abrite en sont totalement dépendants. On sent cette dépendance fragile face aux modèles de développement moderne prônés par le gouvernement indonésien.

Ce qui se passe en ce moment est effarant. Pour rentabiliser au plus vite leurs investissements, des hommes d’affaires sont prêts à tout, y compris à détruire un patrimoine de biodiversité incroyable, et ce quitte à émettre des millions de tonnes de CO² dans l’atmosphère.

Il existe des terres tropicales dégradées qu’il serait possible de planter avec des palmiers à huile sans détruire. Mais cela a un coût d’investir aussi pour l’avenir. En Indonésie, en ce moment, on ne le fait pas ».

Le futur avec Tanah Merah

On parle des forêts primaires comme des poumons de la planète. Véritables éponges à CO², elles l’absorbent en quantités en constante augmentation depuis des décennies. Si la déforestation implique de perdre cette capacité d’absorption, elle est également génératrice de CO² puisqu’il est libéré dans l’atmosphère lorsqu’on détruit le réservoir qu’est la forêt.

Mais les conséquences d’un tel projet vont bien plus loin. Comme évoqué plus haut, détruire la forêt de Papouasie, c’est détruire l’habitat naturel de milliers d’espèces, dont certaines endémiques. Les forêts regorgent d’espèces animales et végétales qui représentent une ressource naturelle encore méconnue. Dans ce cas, on peut effectivement parler d’écocide, un terme fort mais qui en dit long sur les effets sur la faune et la flore.

Enfin, les tribus primitives vont faire les frais de la course à l’argent. Obligées de se déplacer, elles devront renoncer à leur mode de vie actuel. Et on touche ici à un droit fondamental pour ces peuples qui possèdent leurs terres. Des terres dont on veut les déloger pour produire plus d’huile de palme alors qu’on pourrait en utiliser les ressources naturelles tout en les protégeant et en permettant aux populations locales de vivre de ce type de commerce.

Le projet Tanah Merah, s’il peut nous sembler lointain et abstrait, aura un impact majeur sur la planète entière. À l’heure où le réchauffement climatique est devenu une priorité pour beaucoup, l’impact d’une déforestation massive compromet les efforts qui sont faits. Mais il reste de l’espoir : l’actuel président indonésien, Joko Widodo, a engagé des actions pour réviser les permis de plantation de palmiers et renforcer la transparence. Un effort nécessaire quand, de l’aveu de l’actuel bupati de Papouasie, on ne sait toujours pas qui détient vraiment la plupart de ces permis…

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En signant les pétitions pour faire pression sur les gouvernements et en partageant cette histoire au plus grand nombre.